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la vie. Bien qu’elle soit fine de lignes, d’apparence presque délicate, on la sent ronde et ferme avec une peau qui, certainement, irradie de la lumière, comme, au crépuscule, ces grands iris blancs de Florence…

Tout à coup, elle pousse un petit cri d’oiseau, s’arrête de courir, se hausse sur la pointe de ses souliers mordorés, allonge divinement les bras, tend son buste élastique, et prend je ne sais quoi sur une branche du laurier.

Les deux petites trépignent, tapent dans leurs mains.

— Donne… donne… maman.

Et je vois dans sa main, gantée de suède du même blond que les cheveux, une coquille de petit escargot, sèche et vide.

— Ah ! le pauvre petit !… Il est mort… dit-elle avec un air de consternation délicieuse… Il est mort !

Je crois bien qu’il est mort, le pauvre escargot… Il est mort depuis des millions d’années, car c’est un escargot fossile… Avec des précautions infinies, des tendresses maternelles, qui furent des prodiges de grâce sculpturale, elle remet la coquille, dans la fourche d’une branche. Elle semble lui dire :

— Dors, petit, dors !

Puis elle recommence de courir, de poursuivre les deux petites filles, en criant :

— Jeanne… Gabrielle… mes amours… Le gros lion… le gros lion… le gros lion !

Comme Jeanne, Gabrielle, faisant semblant d’avoir peur, se mettent à pleurer pour rire, la jeune femme se baisse, s’accroupit, attire dans ses bras les enfants qu’elle dévore de caresses et de baisers :

— Ô les petites bébêtes aimées !… les chères bébêtes adorées !