Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/81

Cette page n’a pas encore été corrigée

celles que j’ai vues jusqu’ici… Un frisson m’a secoué tout le corps, rien qu’à considérer le redoutable capot qui protège le moteur… C’est un prodigieux cube de tôle, flanqué de sirènes de paquebot, armé de phares lenticulaires, gigantesques. En outre, un projecteur électrique, capable d’éclairer toute la Belgique nocturne, est fixé à la barre de direction. Je me dis, avec un sentiment d’épouvante, où il entre, d’ailleurs, beaucoup d’admiration :

— Une machine d’au moins cinq cents chevaux… Ces Belges, qui n’ont l’air de rien, sont inouïs…

Très impressionné, je m’approche de cette terrible machine de guerre. Elle est au repos… elle dort… Ah ! j’aime mieux ça… Le mécanicien, non plus, n’est pas là… quelle imprudence !… Sans doute, il boit, dans un bar voisin, de la bière qui n’est pas de la bière, à moins que ce soit du gin qui n’est même pas de l’eau-de-vie de pomme de terre… Enfin, il n’est pas là… J’ai alors la curiosité de soulever cet effarant capot… C’est comme si je tenais dans mes mains une bombe, garnie de sa mèche allumée. Le cœur me bat, me bat…

D’abord, je ne vois rien, rien que le vide… Puis, à force de regarder, je finis par apercevoir une espèce de minuscule mécanisme, monocylindrique, de la grosseur d’une tasse à café chinoise, et dont la force ne doit pas excéder un cheval et demi…

Le mécanicien revient. Il a un visage d’orgueil… il me regarde avec pitié. Puis il se met à tourner la manivelle… Je m’en vais…

Une heure après, je repasse par cette rue, devant le petit hôtel. Le mécanicien tourne toujours, sans succès, la manivelle… Tête nue, le visage dégouttant de sueur, ses habits à terre, il tourne… tourne… tourne !…