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— Pauvres gens !… dis-je à Brossette, quand nous fûmes sortis de la ville.

Brossette, d’abord, ne répondit rien. Puis, haussant les épaules et ne pouvant retenir un petit rire que je voyais se tordre, au coin de sa bouche :

— De bonnes poires, monsieur !… La voiture n’a rien, vous savez ?… Seulement, Ferdinand est jaloux de sa femme… Ça le travaille… ça le travaille… Il veut rentrer pour la surprendre… Et comme ils n’y connaissent rien…

J’adressai de vifs reproches à Brossette, pour s’être fait le complice d’une si mauvaise action.

— Oh ! moi, monsieur… bien sûr que je donne tort à Ferdinand… Ces choses-là, ça se fait pas… Mieux vaut être cocu… je lui ai dit… Il s’est entêté… Tout de même, je pouvais pas refuser ce service à un copain… Et puis, on n’est pas poires comme ces gens-là !

L’air piquait ; le matin était exquis, odorant… Un gros bateau remontait la Meuse, dans un clapotement rouge… Nous marchions vivement… Peu à peu, je sentais mon indignation faiblir. Quand nous nous arrêtâmes, devant la douane, les mauvais instincts, qui travaillent l’âme de l’automobiliste, avaient fait leur œuvre. Et c’est avec une sorte de joie méchante, de plaisir barbare, que j’aimai à me représenter, dans la cour de l’hôtel, groupée autour de la machine silencieuse, cette famille désemparée, à qui le patron de l’hôtel continuait de dire, sans doute :

— Il y a de bien belles promenades, dans les environs !…