Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ah ! comme ils ont bonne figure, à les comparer, en leur sévère habit noir, à ces grands seigneurs, vêtus de soies et de dentelles, brutaux et goujats, ignorants et voleurs, domestiques et proxénètes, dont l’élégance si vantée, si regrettée, consistait à se roter au visage l’un de l’autre, donner audience, déculottés sur leurs chaises percées, se barbouiller de sauces, comme les chiens qui fouillent du nez dans leur pâtée, cultiver, bactériologistes sans le savoir, d’immondes vermines sous leurs perruques : charniers ambulants, ambulantes ordures, qui laissaient de leur passage dans les couloirs de Versailles, de Meudon, du Petit-Luxembourg, une persistante odeur de musc et de merde… Prestigieux serviteurs de la monarchie et de la religion, ils ne pensaient qu’à trafiquer de leurs fonctions, piller le trésor, les tailles, les gabelles, les magasins publics, tricher au jeu, trahir leur pays, mener leurs femmes, leurs filles, leurs maîtresses, au lit royal, leurs fils au lit des augustes sodomistes de la Maison de France, et, mieux que sur les champs de bataille où ils se battaient, d’ailleurs, comme des lions, leur fierté chevaleresque s’exaltait à présenter le pot de chambre au Roi, à changer ses chemises, ses chausses, ses draps, souillés par les déjections de ses purgatifs…

Règne monstrueux et fétide, dont l’odeur de latrines, de bordel, vous prend à la gorge, et vous fait tourner, soulever le cœur, jusqu’au vomissement !… Ni la beauté des palais, ni la grâce des jardins et des parcs, ni la gloire de La Rochefoucauld, de Pascal, de La Bruyère, de Corneille, de Racine, de Molière, ni le puissant génie constructeur de Colbert, ni – ce qui est plus beau et plus grand que tout cela – la force accusatrice des aveux, des portraits de l’immortel Saint-Simon, ne sauraient en effacer les hontes et les crimes.