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plupart, d’ailleurs, étaient closes. Ils ne remuaient pas, ne parlaient pas, ne regardaient pas. Le bruit de l’automobile ne leur fit même pas lever la tête.

Dans les plus petits villages, perdus au fond des terres, un chien étranger, un chemineau qui passe, une voiture d’ambulant, un vol d’oies sauvages, est un événement considérable. À plus forte raison, une auto… On s’inquiète, on s’assemble autour de ces choses inhabituelles, qui, pour un instant, rompent la monotonie de ces existences enfermées.

À Rocroy, ils ne s’inquiétaient de rien, ne regardaient rien, si parfaitement immobiles que nous eûmes la pensée que c’étaient des mannequins d’étoupe, et que, si nous les avions effleurés d’une chiquenaude, ils fussent tombés sur le trottoir, avec un bruit mou… Notre surprise s’augmenta à découvrir que les devantures des boutiques s’ornaient d’enseignes, telles que celles-ci : « Épicerie parisienne… Boulangerie parisienne… Charcuterie parisienne… ». J’ignore l’idée que ces spectres se font de Paris, si Paris, pour eux, symbolise la vie ou la mort… Ce que je sais, c’est que tout était parisien, à Rocroy, et que tout était mort.

On ne perçoit d’abord que le comique des choses ; ce n’est qu’à la réflexion que le tragique apparaît.

Il ne nous fallut pas longtemps pour sentir que cette ruine et que cette mort étaient bien la parfaite et douloureuse image de la ruine et de la mort, que fut l’œuvre politique et militaire de Louis XIV, œuvre à jamais néfaste, que, plus tard, vint achever Napoléon, dont, par un prodige, la France n’est pas morte, mais qui pèse toujours sur elle d’un poids si lourd et si étouffant…

Aujourd’hui, de probes et sagaces historiens entreprennent de reviser l’histoire de ce siècle abominable que,