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Après Compiègne, le vent s’était levé brusquement, un vent du nord, âpre et dur, qui gênait beaucoup notre marche, et faisait tournoyer vers nous, sur la route, de petits cyclones de poussière… Tant que nous eûmes à longer l’Oise, à la quitter pour la retrouver ensuite, avec la fraîcheur de sa vallée, la surprise de ses ports charmants, et le mouvement de sa batellerie, cela alla très bien. Mais au-delà de Saint-Quentin, où notre patriotisme se contenta d’admirer Latour et ne songea pas une minute, hélas ! à donner le moindre souvenir à M. Anatole de la Forge, le paysage devint morose. Nous aussi. Presque rien que des champs de betteraves, à peine ensemencés… Il semblait que la campagne se fripât, se ratatinât, se décolorât, sous la sécheresse du vent… Elle était laide à voir, comme une chambre dont on n’a pas fait la toilette depuis longtemps… Peu de villages, pas de villes, sauf Guise qui ne me parut pas être l’Eldorado industriel, célébré par le bon Fournière et créé par le bon Godin. De loin en loin, des hameaux endormis, des fermes ensommeillées ; ici, une pauvre briqueterie ; là, une distillerie abandonnée… et la route, la route monotone, inactive, presque déserte. Nous ne rencontrâmes guère que ces hautes et lourdes voitures de liquoristes, qui s’en allaient, dans un bruit de bouteilles secouées, porter aux rares humains de ces régions la tristesse, la maladie et la mort.

Moins un pays travaille, et plus l’on dirait qu’on rencontre de ces assommoirs ambulants. Cela tient, sans doute, à ce qu’on ne rencontre qu’eux.

Je remarquai que presque tous les vieux châteaux sont désertés… Ils ne nourrissaient plus leur homme. Quelques-uns servent, pour les pauvres gens, de sanatoria, ou de colonies de vacances ; ils sont revenus au peuple, et c’est ce qu’ils avaient de mieux à faire. Les autres