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LA 628-E8

veux, les tordit, les fixa, sur la nuque, en un gros paquet, d’où de longues mèches s’échappaient… « Non… non… je ne veux pas… je ne veux pas y aller… je ne veux pas le voir… Emmène-moi en Russie… tout de suite… tout de suite… emmène-moi, dis ?… » Et, sur de nouveaux coups frappés à la porte, sur de nouveaux appels, presque injurieux, le peignoir mal agrafé, la tête tout ébouriffée, sans pantoufles aux pieds, elle se précipita, en criant : « Oui… oui… c’est moi… je viens… je viens… » Je me recouchai… Allongé sur la couverture, les jambes nues, le poitrail à l’air, les bras remontés et ramenés sous la nuque, sans songer à rien… sans l’émotion de ce qui venait de se passer, sans la terreur de ce voisinage de la mort, longtemps, je considérai mes orteils, à qui j’imprimais des mouvements désordonnés et des gestes de marionnettes… Le silence de la maison avait je ne sais quoi de si lourd, de si peu habité, qu’il ne me semblait pas réel… Avec cela, m’arrivaient aux narines des odeurs d’amour, d’écœurantes odeurs de nourriture aussi, et de boisson, que la chaleur aigrissait… Mes vêtements, des jupons traînaient sur les fauteuils, pendaient des meubles, jonchaient le tapis, en un désordre tel et si ignoble, que, n’eût été la splendeur royale du lit, n’eussent été les cuivres étincelants de la psyché, je me serais cru échoué, après boire, au hasard d’une rencontre nocturne, chez une racoleuse d’amour… Pour compléter l’illusion, à ma gauche, par la porte du cabinet de toilette, j’apercevais une bouilloire qui chauffait sur une petite lampe… Je restai ainsi cinq heures, durant lesquelles, pour me prouver que tout n’était pas mort dans la maison, je cherchais à percevoir, çà et là, dans un demi-assoupissement, le bruit de chuchotements, d’allées et venues, le long du couloir. Cela n’était pas gai, certes ; cela n’était pas