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que je me plus à le qualifier… Quand on file sur les routes frisonnes, on voit, à chaque minute, passer des hommes au visage placide, qui mènent ces admirables chevaux, dont la peinture hollandaise consacre les belles formes rondes, de ces chevaux très noirs, à la haute encolure, à la robe luisante, qui s’accordent si bien avec le paysage et décorent nos corbillards parisiens avec tant de majesté… Ils s’arrêtaient pour nous considérer, laissant s’emballer leurs bêtes surprises… Je garde le souvenir de celui que nous fîmes, en cornant, se retourner de loin, et qui, sans plus se soucier de son cheval parti et galopant, à fond de train, dans le polder, demeura pétrifié d’admiration, immobile au bord de la route, son chapeau à la main…

Je me rappelais aussi qu’à Edam, ayant laissé l’automobile à la garde de Brossette, pour prendre le coche d’eau qui mène à Volendam, nous avions été entourés, subitement, par les habitants de tout le village… Il y avait là de jolies filles souriantes, parées de bijoux et de dentelles ; il y avait surtout des hommes, dont l’aspect nous inquiéta. Ces colosses, calmes et rasés, très beaux sous leurs bonnets de peau de mouton et dans leurs amples culottes bouffantes, me faisaient penser à ces paysans héros, leurs ancêtres, qui boutèrent, hors de leur République, notre bouillant Louis XIV, ses fringantes cavaleries, ses infanteries si bien dressées, ses cuisines et ses dames, non sans garder quelques bannières et drapeaux, et quelques canons historiés. Et je m’imaginai qu’ils examinèrent ces trophées du même regard fier et conquérant dont leurs descendants examinaient notre machine… À notre retour de Volendam, j’appris de Brossette, qu’il avait été traité royalement et que ces braves gens lui avaient offert un banquet.

— Seulement, expliqua Brossette,… j’ai dû en promener