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BORDS DU RHIN

humain… Et quinze ans… quinze ans de projets, de rêves, d’idéal fou, de mensonges, pour constater, en un jour, cette double méprise et cette double chute !…

Dès lors, ce fut fini.

Huit jours après leur arrivée à Paris, excédés de reproches, fatigués de dégoûts, ils résolurent de vivre, à part, dans la maison, sachant mettre plus de distance d’une chambre à l’autre, qu’il n’y en avait de Paris à Wierzchownia. Et ils ne se rencontrèrent plus, même aux repas.

D’ailleurs, Balzac était presque toujours alité. Un cercle de fer se resserrait, de plus en plus, sur sa poitrine. Il passait ses nuits à suffoquer, cherchant vainement, devant la fenêtre ouverte, à happer un peu de cet air qui ne pouvait plus dilater ses poumons. Ses jambes enflaient, suintaient ; l’œdème gagnait le ventre, le thorax. Il ne se plaignait pas, ne désespérait pas. Confiant, comme il avait attendu la fortune, il attendait la guérison, pour se remettre au travail, avec une jeunesse, une énergie, un immense besoin de créer, qui le soutinrent jusqu’à l’agonie. Au milieu de la putréfaction de ses organes, le cerveau demeurait sain, intact. L’imagination y régnait en souveraine immaculée. Il ne cessait de faire des projets, des projets, des plans de livres, des plans de comédies, accumulait des matériaux pour l’œuvre à venir… Il n’avait rien perdu de sa fécondité merveilleuse. Chaque jour, il demandait à son médecin, le fidèle Nacquart :

— Pensez-vous que demain je puisse reprendre la besogne ?… Hâtez-vous ! Il le faut… Il le faut…

Mme de Balzac, elle, inquiète, nerveuse, désemparée, courait la ville. Elle avait retrouvé des parentes polonaises, des amis russes. Un jour, dans un de ces salons, où elle fréquentait, elle rencontra le peintre Jean Gi-