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BORS DU RHIN

de joies, de chimères, d’espérances. Et les lettres recommencent, plus pressées, plus ardentes, avec, çà et là, des brouilles légères, de petites coquetteries, de petites jalousies, pas sérieuses, pas douloureuses, et qui ne font que suralimenter leur adoration. Après ce repos, cette halte, Balzac reprend plus intrépidement que jamais son collier de misère, sa vie haletante, son terrible labeur de forçat… et ses maîtresses. N’est-il pas merveilleux de penser que ce grand amour n’ait nui en rien à ses autres amours ? De même qu’il écrivait quatre livres à la fois, de même il pouvait aimer quatre femmes en même temps. Il était assez riche d’imagination pour les aimer toutes !…

Nous pouvons préciser le jour et même l’instant où l’idée d’épouser Mme Hanska s’empara résolument de l’esprit de Balzac. Tel que vous le connaissez, vous ne serez pas étonnés que cette idée lui vienne dès qu’il aura été mis, très vaguement d’ailleurs, au courant de la situation de l’Étrangère, et de ce qu’il peut en tirer. Il y a bien un mari. Mais le mari ne l’embarrasse pas… Il le supprime d’un trait, tout de suite. Il met sur le mari un deleatur, comme sur une faute typographique. Dans une lettre, où il a conté à sa sœur, Mme Surville, avec un enthousiasme de tout jeune gamin, l’entrevue de Neuchâtel, il écrit : « Et je ne parle pas des richesses colossales… Qu’est-ce que c’est que cela devant un tel chef-d’œuvre de beauté ? » Il y revient, pourtant, quelques lignes plus bas, ébloui… Et plus loin encore : « Pour notre mari, comme il s’achemine vers la soixantaine, j’ai juré d’attendre, et elle de me réserver sa main, son cœur… ». Deux mois plus tard, à Genève, où il a suivi le couple, et où il est resté cinq semaines, le mariage est tout à fait décidé… Depuis, ils en parlent souvent, dans leurs lettres. Ce