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LA 628-E8

nous fier à Balzac, qui ment, souvent, comme tous les amoureux. Sa folle vanité le porte, à son insu, aux exagérations les moins acceptables. Il a la manie de ne nous montrer jamais Mme Hanska qu’à travers lui-même. Et puis, n’a-t-on pas prétendu que les Lettres à l’Étrangère étaient un document, par endroits, fort discutable ? N’a-t-on pas affirmé que Mme Hanska, après la mort de Balzac, en avait fait ou refait les parties d’amour ? Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans cette accusation. Elle me paraît, à moi, bien risquée. Les raisons qu’on en donne ne m’ont point convaincu, car tout se tient dans ces lettres. Elles sont d’une si belle et forte coulée, elles marquent une telle empreinte personnelle, qu’on ne saurait admettre la possibilité d’une révision ultérieure. Quoi qu’il en soit, nous sommes réduits, quant à cette figure et à son caractère vrai, à des références mal contrôlées, et, pire, à de simples hypothèses. Si proche de nous, pourtant, un voile nous la cache qui ne sera pas levé de sitôt.

On peut reconstituer l’état d’esprit de Mme Hanska, lorsqu’elle résolut d’écrire sa première lettre à Balzac. Reléguée au fond de l’Ukraine, avec un mari plus âgé qu’elle, peu sociable et préoccupé seulement d’intérêts matériels, elle s’ennuyait. Seule, ou à peu près, dans cette sorte d’exil, au milieu d’un pays puéril et barbare, elle ne trouvait pas à occuper son imagination ardente et son cœur passionné. C’était la femme incomprise et sacrifiée. À défaut d’action sentimentale, elle lisait beaucoup et rêvait plus encore. Et, de lectures en rêveries, elle se sentait très malheureuse. Les écrivains français, qui sont ceux qui savent le plus et le mieux parler d’amour, l’attiraient particulièrement, et par-dessus tous les autres, ce Balzac, dont elle avait