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BORDS DU RHIN

malicieux portraits, raconte, avec enjouement, des anecdotes spirituelles, sur la princesse Belgiojoso, Mme de Girardin, la comtesse Potocka. Il se promet d’aller, le lendemain, chez le joaillier, voir où en est la bague commandée pour sa chère Constance Victoire, et dont il a donné le dessin. Il se charge de l’achat de ses gants, de l’emplette de mille menus bibelots. Avec une netteté, un sens pratique et retors d’homme d’affaires et d’homme de loi, il soumet à sa Line un plan complet de réorganisation de sa fortune, lui explique, avec une compétence d’agronome, quel parti nouveau elle peut tirer de ses terres incultes, lui indique, avec une clairvoyance de banquier, un placement plus judicieux de son argent. Il la guide dans son procès, dans ses revendications, dans la situation embrouillée et difficile où l’a laissée la mort de son mari, et cela en un pays dont il connaît à peine les mœurs et les formes judiciaires.

Qu’on se rappelle encore les espoirs obstinés, les rêves grandioses de la moisson future, toute proche, la confiance presque sauvage qu’il a en son génie. Et voyez-le faire, le plus loyalement du monde, la balance entre ses dettes d’aujourd’hui et ses triomphes assurés de demain. Que sont ses dettes ?… Rien. Que pèsent ses dettes ? Rien, en vérité, mais rien, rien !… N’a-t-il pas son œuvre, chaque jour agrandie, chaque jour plus populaire, qui lui réserve des millions ?… N’a-t-il pas ses affaires qui lui représentent des milliards ? Alors il prend, comme il peut, où il peut, de légères avances sur cette fortune certaine, avances qu’il remboursera, plus tard, demain, ce soir, peut-être au centuple…

Et les chimères se pressent, montent, de partout, l’enveloppent de leurs caresses et chantent autour de lui. Leurs voix le bercent et le raniment. Il en oublie sa