Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/454

Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
LA 628-E8

féerie. C’est le point faible, la fêlure, dans cette organisation si robuste. D’ailleurs, comment attendre quelque chose de sérieux de quelqu’un qui fait des romans ?

M. de Rothschild, qu’il voyait fréquemment, et dont nous est resté, dans son Nucingen, un si surprenant et inoubliable portrait, s’en amusait comme d’une bonne farce. Les plus indulgents, ses admirateurs mêmes, plaidaient que Balzac était un grand constructeur de chimères ; pour parler plus prosaïquement, un fou. D’autres commentaient cette image par ce mot : un faiseur.

Les gens de finance sont en général fort bornés, et orgueilleux avec médiocrité. Ils manquent de culture, d’imagination, de générosité d’esprit, dans un métier où il en faut beaucoup. Ils n’ont que de la routine dans une aventure où il n’en faut pas du tout. Concevoir une affaire, c’est concevoir un poème. L’homme d’affaires qui n’est pas, en même temps, un idéaliste, un poète, ce n’est rien… rien qu’un escroc, la plupart du temps.

Balzac était poète. Il avait la passion des belles et grandes ordonnances ; il ne suivait pas les idées, il les devançait. De même qu’il lui suffisait d’un mot pour reconstituer, dans sa vérité logique, tout un être humain, de même il lui suffisait d’un fait, quelquefois d’un menu fait, pour découvrir et créer d’un coup le drame d’une affaire. Il la concevait, la débrouillait, la bâtissait, avec la même imagination puissante, la même faculté de divination, la même netteté carrée que ses livres. Il eût étonné et fait réfléchir des hommes moins prévenus, moins bassement théoriques que des financiers, par l’abondance, la justesse de ses renseignements techniques, la connaissance et souvent la prescience de la valeur géologique, économique, des divers pays de l’Europe. Chimériques, sans doute,