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vieilles gens formaient des groupes devant la maison. Des vieilles gens se promenaient, à petits pas, dans les allées du jardin…

Brossette reparut bientôt, le visage tout épanoui. Il soutenait une très vieille femme, grosse, courte, toute ridée, toute courbée, qui marchait péniblement, en s’aidant d’un bâton. Il la conduisit près de moi, et me dit, en me regardant d’un regard qui demandait pardon, en même temps qu’il s’illuminait de bonheur :

— Fallait pourtant bien, monsieur, que je vous fasse connaître maman… C’est maman, monsieur !

Et s’adressant à la vieille :

— Tiens, maman… C’est monsieur… Dis bonjour à monsieur !

La vieille sembla d’abord consternée de nos peaux de loup, de nos lunettes relevées sur la visière de nos casquettes… Tout rond, hagard, son œil allait de moi à son fils, qu’en vérité elle ne reconnaissait pas, sous cette vêture où s’ébouriffaient des poils blancs et noirs… Enfin, elle chevrota, indignée :

— Si c’est Dieu possible !… Ah ! ah !… Des masques !… Des masques !…

Brossette éclata d’un bon rire, d’un rire plein de tendresse.

— Maman ! Oh ! maman !… Ça t’épate, hein ?… Et tiens…, ça…, c’est une automobile… C’est moi, ton fils… qui la conduis… Regarde un peu… T’en as peut-être jamais vu, ma pauvre maman, des automobiles ?… Attention…

Il mit le moteur en marche, le fit ronfler épouvantablement. La vieille, effrayée, voulut rentrer. Elle criait :

— Si c’est Dieu possible !… Si c’est Dieu possible !

Brossette l’apaisa, en l’embrassant et en lui glissant deux louis dans la main.