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donc pas très heureux… Moralement, politiquement, nous restons, sous l’autorité de l’Allemagne, ce que nous étions sous celle de la France : soumis, passifs, et mécontents… On se trompe beaucoup en France sur la mentalité et la sentimentalité de l’Alsacien. Il n’est pas du tout tel que vous le croyez, tel que le représentent de fausses légendes, et toute une littérature stupidement patriotique… L’Alsacien déteste les Allemands, rien de plus exact… Vous en concluez qu’il adore les Français… Grave erreur ! S’il est vrai que dans l’imagerie populaire et les dictons familiers d’un pays se voie et se lise l’expression de ses sentiments véritables, vous serez fixé tout de suite quand vous saurez, de quelle façon peu galante et pareille, l’Alsacien traite les Allemands et les Français. Il dit des Allemands qu’ils sont des schwein, des porcs ; il appelle les Français, des « welches » !…

Je croyais avoir entendu : des belges. Je lui en fis la remarque.

— Welches… belges…, c’est le même mot, répondit-il. Et croyez que, dans son esprit, ceci n’est pas moins injurieux que cela. Au fond, ça lui est tout à fait indifférent d’être Allemand ou Français… Ce qu’il voudrait, c’est être Alsacien… Ce qu’il rêve ?… Son autonomie… Seulement, saurait-il s’en servir ?… J’ai bien peur que non… Un esprit de discipline traditionnel, atavique, le fait obéir, en rechignant, obéir tout de même, tantôt à la France, tantôt à l’Allemagne… Mais, livré à lui-même, je crains qu’il ne se perde dans toutes sortes de querelles intestines. Je ne crois pas qu’il sache, qu’il puisse se conduire tout seul… Il a besoin qu’on le mène par la bride… Fâché, il devient vite agressif, abondamment injurieux… Si vous connaissiez son patois ?… Oh ! bien plus riche en