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se montrait particulièrement gai… jamais je ne l’avais vu si gai. Je lui en fis la remarque.

— C’est la machine, monsieur… Elle va comme un ange… Ça me fait plaisir.

Nous quittâmes Lyon, au petit matin. Je pensais rentrer par Dijon, où j’avais l’intention de déjeuner chez un ami… Je m’aperçus bientôt que nous n’étions pas sur la route… Mais Brossette me dit avec une tranquille assurance :

— Que monsieur ne se fasse pas de mauvais sang !… Ça va bien… Ça va très bien.

Il était tellement sûr de son fait que je n’osai pas insister davantage… Pourtant, je ne cessai de me répéter à moi-même : « Nous ne sommes pas sur la route… Nous ne sommes pas sur la route. »

Le temps était très frais… presque froid. Pas de soleil dans le ciel… pas de brume, non plus… une atmosphère limpidement grise, subtilement argentée, où toutes les choses prenaient des colorations délicates… J’avais le cœur réjoui… La machine était ardente, excitée par une carburation régulière et forte… Et nous allions… nous allions… C’étaient des paysages, des villages, des villes, des côtes que nous passions à toute vitesse, et dont j’étais bien sûr que nous ne les avions jamais rencontrés ; du moins, jamais rencontrés entre Lyon et Dijon… Deux heures… trois heures… quatre heures. Aux formes des terrains, au type des visages, je sentais que nous nous approchions de la Touraine, que nous étions peut-être en Touraine, que peut-être, nous l’avions déjà dépassée.

Il fallut faire de l’essence, dans un bourg. Je consultai la carte… Parbleu ! qu’est-ce que je disais ?… Triomphalement, je montrai la carte à Brossette, heureux de le prendre, une fois, en défaut.