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la Mort de M. Félix Faure, le maître de L’immaculée Conception de la vierge Otero. J’aimais mieux les débardeurs des quais du Rhin et les paysans qui amenaient, au marché de la ville, des troupeaux de cochons et des charretées de choux.




Je flânai sur les quais et dans les rues, sans but précis, essayant de m’intéresser au mouvement de la vie, dans cette cité opulente et active, où le catholicisme, plus agressif que celui des Flandres, m’obséda de ses tours, de ses flèches, de ses croix, de ses cloches, non moins que de ses moines, qu’on rencontre partout, traînant leurs robes brunes, leurs sandales, sur les pavés, et quêtant aux portes… Et puis, je m’arrêtai devant une belle boutique de libraire. Parmi beaucoup de livres français qui y étaient étalés, au milieu de ces auteurs inconnus en France, qui représentent la littérature française à l’étranger, par des couvertures illustrées, dont la hideur m’est intolérable, je remarquai la Correspondance de Balzac, en son édition in-8. Je l’achetai et rentrai à l’hôtel. Et, tout de suite, je sentis que j’avais gagné quelque chose à ma promenade. Désormais, j’avais de quoi alimenter mon esprit, durant cette journée, que je prévoyais ennuyeuse et sans joies : j’avais Balzac, dont le nom seul, à cette devanture de libraire, avait fait s’évanouir brusquement la cathédrale de Cologne, l’Allemagne, l’illusion des musées, et mes fantasmes. Comme je me hâtais, la pluie se mit à tomber, lente et fine, achevant de donner à la ville un aspect de mélancolie funèbre.

L’après-midi, je laissai mes compagnons sortir, et je m’enfermai, dans ma chambre, avec Balzac.