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Sur la scène, c’est le défilé accoutumé des équilibristes à paillettes et des jongleurs en habit noir, des acrobates japonais, familles anglaises, chanteuses viennoises, danseuses espagnoles, tableaux vivants, cinématographes, gommeuses françaises, qui promènent dans les capitales de quoi satisfaire la moyenne des aspirations amoureuses et artistiques de nos contemporains.

Notre loge est voisine d’une grande loge, occupée par des officiers.

Longs, minces, parfumés, un peu maquillés, sanglés dans leurs tuniques, le cou étranglé par le carcan rouge, bleu ou jaune du collet, ils ont des mines insolentes et efféminées. Leur façon de se dandiner sur des hanches trop fortes rappelle beaucoup celle des jolis petits professionnels qu’on voit rôder, sur nos boulevards, devant le Grand-Hôtel et le Café de la Paix. Ils affectent de se désintéresser de ce qui se passe sur la scène, de se montrer blasés sur toutes choses. Ils ne boivent pas, ne fument pas, et promènent des gestes las, au bout de leurs gants blancs…

Un moment, ils nous regardent en riochant, dévisagent nos femmes avec une grossièreté tellement appuyée, que l’un de nous ne peut s’empêcher de faire tout haut une observation brève, mais cinglante comme une gifle. Cris, tapage, provocations… Le pauvre von B… est obligé d’intervenir. Il le fait, d’ailleurs, avec une telle autorité que ces messieurs se taisent et, peu après, quittent la salle, en se trémoussant des fesses…

— Voilà notre armée ! dit von B…

— Voilà les armées ! rectifiai-je…

Et je contai à von B… une scène analogue, plus écœurante peut-être, que nous eûmes, durant l’affaire Dreyfus, dans une salle de l’Hôtel d’Angleterre, à Rouen, où une dizaine d’officiers français, espoir de la patrie