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je n’aie à m’occuper de rien… pas même d’acheter des cure-dents… Vous avez compris ?

— Oui…

— Combien ?

— Mais, balbutia le tapissier abasourdi… je… je voudrais savoir ce que vous aimez… ce que…

— Je ne sais pas ce que j’aime… interrompit l’Américain… je n’ai pas le temps de le savoir… Si je le savais, je ne vous chargerais pas… Dépêchons-nous… je suis pressé… Combien ?

— Dix millions… à peu près, risqua le grand tapissier qui avait repris un peu, et même beaucoup d’assurance…

— Pas à peu près… Exactement… Vite… Combien ?

— Dix millions, alors !

— All right… voici un chèque de quatre millions… Quand vous aurez besoin du reste… vous câblerez ! Le 4 mai, hein ?… Soyez exact… Au revoir !

Et von B… me dit :

— Ici, ils n’en sont pas encore là… mais ils y viennent… Je crois d’ailleurs que, malgré les mœurs particulières à chaque pays, les manies que donne l’argent sont partout les mêmes… Il y a une sorte d’uniforme moral que portent tous les spéculateurs milliardaires.

Le luxe extravagant de ces maisons m’étonna. Je garderai longtemps, entre autres souvenirs, le souvenir de certains plafonds où toute l’École de Dusseldorf s’est réunie pour accumuler les plus invraisemblables horreurs… Car il y a toujours une École de Dusseldorf. C’est, autant que j’ai pu comprendre, une collectivité, une espèce de syndicat de peintres, dont on ne connaît pas les noms, et qui s’acharnent aux plus singuliers travaux,