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On les sent d’ailleurs terribles. J’ai rencontré là plus d’un Isidore Lechat.

Von B…, très lié avec la plupart des gros industriels de la région, m’a introduit dans quelques intérieurs de la ville et de la campagne. La décoration en est d’un goût déplorable. Elle coûte très cher ; voilà, en plus de ce goût, tout ce que l’on en peut dire. Du reste, personne ne lui demande autre chose. Plus un objet coûte cher, plus il révèle bruyamment qu’il coûte cher, et plus ils sont fiers de lui… Américains en cela ; américains aussi dans leur façon de s’habiller et de se raser la face… Von B… affirme qu’en affaires ils sont encore plus hardis que les Américains, et d’une gaieté aussi imprévue. Il me raconte que, l’année dernière, il avait mené un Français de ses amis aux usines de M. Ehrardht, le célèbre fondeur de canons de Dusseldorf, le rival de Krupp…

— Ah ! ah ! fit M. Ehrardht, en serrant la main du Français… Vous venez voir mes pianos ?

— Comment… vos pianos ?

— Mais oui… Érard… Érard… votre Érard… Seulement, moi, c’est une autre musique… Ah ! ah ! ah !… Passez donc !

Il me raconte aussi cette anecdote :

Von B… a un ami américain. Comme la plupart des Américains, celui-ci est d’origine allemande. Il y a trois ans, cet ami vint à Paris… Il s’en alla trouver H…, le grand tapissier… Il lui dit, sans autre préambule :

— Vous allez me construire un hôtel à Londres, très beau, tout ce qu’il y a de plus beau. Quand, le 4 mai de l’année prochaine, j’arriverai à Londres, je veux trouver tout prêt : meubles, tableaux, domestiques, chevaux, voitures, automobiles… même mon dîner… Que