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suppose. Il n’obéit jamais qu’à son impulsion du moment – il en a de généreuses – et il est incapable d’y résister, quitte à s’en repentir, cruellement, par la suite… Il y a beaucoup de neurasthénie dans son cas. De même que tous les neurasthéniques, l’Empereur montre, jusque dans ses actes les plus déséquilibrés, une certaine logique, une logique à rebours… Ainsi, on le blâme, par exemple, pour une décision artistique : il passe immédiatement une revue. On crie : il peint un tableau. On le siffle : il fait un opéra. On se plaint : il se déguise en musulman et s’en va pèleriner en Terre sainte. On le blague dans un journal illustré : il exige aussitôt qu’on découvre, pour le lendemain, le remède de la tuberculose. Vous me répondrez que ce sont là jeux dangereux, de la part d’un homme de qui dépend la sécurité d’un grand Empire ?… Sans doute… Mais il en a de plus dangereux encore, et que je vais vous dire, si vous n’êtes pas fatigué…



Je n’étais pas fatigué ; du moins, je ne sentais pas ma fatigue. Voulant profiter des bonnes dispositions de von B… que quatre bouteilles de vin de Moselle et du Rhin invitaient aux pires confidences, je l’engageai fort à continuer. Je jouissais de savoir ce qu’un Allemand éclairé, sans trop de parti pris, sans trop d’aveuglement nationaliste, pense de son Empereur et de son Allemagne…

Von B… alluma donc un nouveau cigare, comme font, à un moment intéressant de leur récit, tous les conteurs expérimentés, et il poursuivit :

— Voulez-vous la vérité ?… toute la vérité ?… Eh bien, on n’aime plus l’Empereur, chez nous… On n’y croit plus… On