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aux gazons et aux arbustes verts. Que Berlin n’en est-il resté là ?… Hélas ! Depuis la Gründerzeit, et, surtout, depuis Guillaume, nous avons maintenant un art national, qui fait la risée universelle. Nous avons le style Guillaume II, comme vous avez le style Chauchard et le style Dufayel. En outre des rues dont les maisons ressemblent à des orgues colossales, et dont vos rues Turbigo et Réaumur ont pris le modèle à notre Friedrichstrasse, nous avons, entre autres architectures, entre autres monuments d’une laideur qu’on eût pu croire inatteignable, nous avons le gigantesque porphyre de Bismarck, et, au Thiergarten, qui n’était pas si beau, cette allée de la Victoire, où l’on voit souvent l’Empereur passer en revue la horde carnavalesque de ses ancêtres de marbre. Je dois dire que la ville s’était rebiffée contre le projet impérial, qui consistait à enlaidir notre Bois de Boulogne d’un régiment de statues. Bravement, elle avait refusé tous les crédits que l’Empereur lui demandait… Elle avait fait tout ce qu’elle avait pu, afin d’éviter à Berlin cette horreur caricaturale et funèbre. Mais, pour en finir, Guillaume paya de ses deniers – et, personnellement, il n’est pas si riche – l’exécution de ce projet burlesque, qui lui était cher, parce qu’il en avait conçu tout seul l’ordonnance et réalisé tous les dessins… Croiriez-vous que, dans un pays où elles sont l’objet d’un véritable culte, l’Empereur déteste les fleurs ?… Oui, mon cher, il les a en horreur… De les voir, aussi bien dans les jardins qu’aux fenêtres des maisons, et même représentées dans les œuvres d’art, cela lui est une sensation presque douloureuse.

— Pourquoi ?… Les juge-t-il dangereuses, comme les socialistes ?

— Non… il les trouve laides… Comme il trouve laides