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se mêlait, quelquefois, aux raideurs de l’esprit féodal qu’elle nous accusait de pervertir. Oh ! elle n’est pas des plus intelligentes, ni des plus sympathiques. Je la tiens pour la personne la plus ennuyeuse qui soit dans le monde. Mon Dieu ! je n’exige pas d’une femme qu’elle soit belle ; je lui demande d’être gracieuse. Or l’Impératrice manque totalement de ce qui est le plus nécessaire à son sexe, de ce qui fait toute la femme : le charme. Elle a de la vertu… elle est la vertu, et, comme la vertu, elle est triste, un peu bornée, revêche, sectaire, par conséquent sans bonté. Plus qu’à son éducation religieuse, plus qu’à ce qu’il croit être la nécessité politique, Guillaume doit à sa femme cette espèce de piétisme absurde qui donne, souvent, à ses discours une note si comique et si fausse. Elle nous fait beaucoup regretter cette vieille et douce Augusta, – vertueuse, elle aussi, mais plus humainement, – à qui votre Jules Laforgue disait des choses si jolies et lisait des vers français – du Baudelaire, je crois… il n’alla pas jusqu’à Verlaine – qui eussent fait mourir de honte notre Impératrice d’aujourd’hui… Un détail, inconnu chez vous… et qui vous amusera. L’Impératrice s’est attribué, dans l’État, une mission bureaucratique assez singulière… Elle est le censeur des pièces qu’on représente au Schauspielhaus de Berlin. Et je vous assure qu’elle remplit ses fonctions en conscience. Ainsi… tenez… elle raye impitoyablement, sur tous les manuscrits, le mot : Amour, qui lui paraît de la dernière inconvenance. Elle ne le tolère – probablement, par résignation nationale – que dans les drames de Schiller, et aussi, dans les œuvres françaises que jouent, sur le Théâtre Impérial, les tournées de Coquelin, lequel est au Schloss presque aussi national que Schiller. Et puis, d’être dit en français, peut-être que ce mot indécent offre moins de dangers pour