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comme un joli petit bruit de mer sur les galets, et il reprit :

— Voyez-vous, mon cher, pour comprendre notre Empereur, il faut savoir, il ne faut jamais perdre de vue qu’il date de la Gründerzeit… et que nous, nous n’en datons plus… du moins, pas tous.

— De la… ? Comment dites-vous ?… De la… ? fis-je, après avoir vidé mon verre.

— Gründerzeit… la Gründerzeit… l’époque des fondateurs, des vainqueurs – excusez-moi – de 71. Les fondateurs de 71, ce furent, peut-être, des colosses, mais, à coup sûr, des parvenus. Ils étaient partis pour la frontière Prussiens et pauvres ; ils s’en revinrent de Paris Allemands et milliardaires… Rien ne développe les pires instincts comme le triomphe. Il nous emplit de nous-mêmes et nous empêche de penser… La Victoire n’a pour fils que des brutes. Songez aux armées de Napoléon, surtout, à tant de ces colonels de trente ans, de la fin de l’Empire, aux douteux demi-soldes, qui, pour n’avoir pas eu le temps de passer maréchaux, crevèrent aventuriers… Nous sommes faits pour réfléchir… L’habitude du malheur force l’homme à se replier sur soi… C’est en ce sens qu’il est une école d’intelligence et de générosité… Quelqu’un qui réussit – même un philosophe – cesse de penser… En 71, c’était un peuple tout entier, habitué à recevoir des coups, qui rentra ivre de la nouveauté d’en avoir donné… J’admire les hommes qui résistent à l’infortune ; j’admire bien davantage ceux qui résistent au succès… ce sont des héros. N’oubliez donc pas que ces vainqueurs s’en revenaient de France, non seulement glorieux, mais milliardaires. L’ère des milliards date de 71… C’est un mot qui n’était pas en usage… Le milliard des émigrés ?… Oui, je sais bien… Mais