les officiers qui, sur notre sol asservi, fassent sonner insolemment leurs éperons et leurs sabres. Au village, le hobereau est maître ; à l’usine, le patron tient ses ouvriers comme des serfs… Nous avons – ce que l’on ne croirait plus possible que dans les opérettes – nous avons une loi de lèse-majesté.
Ici, von B… pouffa de rire :
— Remarquez que, cette loi, les magistrats l’appliquent férocement, plus encore par conviction que par courtisanerie… Voilà pourquoi, en plus des idées de conquêtes commerciales, caressées par l’Empereur, les automobilistes ont raison chez nous… Ils ont raison comme la voiture de maître a raison du fiacre, comme le militaire a raison du pékin… Ce sont les barons de la route. La route leur appartient par droit féodal, comme elle appartient chez vous aux charretiers, par droit électoral. Et puis, l’Allemand, qui est pourtant un très brave homme, n’a aucune sympathie pour l’écrasé. L’écrasé a toujours tort, n’étant le plus souvent qu’un infirme, un pauvre diable, rien du tout. D’ailleurs, je dois dire que l’accident est infiniment plus rare ici, où il n’y a pas de règlement, qu’en France, où il y en a tant et de si vexatoires.
Il conta :
— Figurez-vous, mon cher… l’année dernière, à Paris, en haut de l’avenue Friedland, une jeune fille, traversant la chaussée, glissa sur le pavé et tomba sous les roues de mon automobile. Je me précipitai ; je la relevai. Elle était très pâle, toute maculée de boue. Heureusement, elle n’avait rien… rien… Tout à fait rassuré, je remontais dans la voiture, quand la mère, qui se démenait sur le trottoir, cria : « Non… non… arrêtez-le !… Un agent !… Un agent ! » La jeune fille déclara bravement que c’était de sa faute… qu’elle avait été imprudente…