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les tapis crème et les tapis roses de ces vestibules où tout tourne et qui fulgurent d’éclats.

Comme je titubais sur des rosaces lie-de-vin, et tâchais de me retenir à des dossiers belliqueux, j’eus la surprise de reconnaître mon ami von B…, un Allemand que j’ai souvent rencontré en Allemagne, mais plus encore à Paris.

— J’arrive d’Essen, en auto, me dit von B… Dînons ensemble.

Je ne pouvais trouver meilleur compagnon, ni personne de mieux informé des choses d’Allemagne, et qui sût mieux les exprimer, en excellent français.

J’acceptai avec joie.

Mon ami, le baron von B…, en véritable Allemand, est un philosophe, grand amateur de musique, à moins que ce ne soit un musicien, grand amateur de philosophie. On ne sait jamais, avec les Allemands. Pourtant il n’est pas qu’amateur de philosophie ; il l’a professée jadis, avec succès, dans une célèbre université, et, jeune encore, il a pris sa retraite, pour vivre sa philosophie dans le monde. C’est un personnage singulier, tout à fait fin, et qui n’a pas usurpé sa réputation de causeur brillant. Tout au plus pourrait-on lui reprocher un peu trop de bavardage… Je ne sais si ce sont ses études ou ses travaux, quelque fonction que j’ignore, ou tout simplement sa naissance qui lui donnent accès près de l’Empereur. Je crois lui avoir entendu dire qu’il avait été son condisciple, à l’université de Bonn… Mais, tant d’Allemands, et même tant de Français, se vantent d’avoir été les condisciples de l’Empereur, à l’université de Bonn, que cela ne serait pas une explication de l’intimité qui existe entre Guillaume et mon ami von B… Von B… aime l’Empereur, ou plutôt l’homme privé qu’est l’Empereur ; du moins, il l’affirme. Mais il juge