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on remplace aux toits les ardoises qui manquent, les portes pourries, les fenêtres disloquées… N’ayant rien à faire, rien à imaginer, rien à vendre, rien à acheter, ils économisent… Sur quoi, mon Dieu !… Mais sur leurs besoins, leurs joies, leur dignité humaine, leur instruction, leur santé… Affreuses petites âmes, que ce grand mensonge antisocial, l’épargne, a conduites à l’avarice, qui est, pour un peuple, ce que l’artériosclérose est pour un individu. Ce n’est pas de leur bas de laine que la France a besoin, mais de leurs bras, de leur cerveau, de leur travail et de leur joie… Et ce n’est pas leur faute, après tout… On ne leur a jamais dit : « Vivez ! Travaillez ! » On leur a toujours dit : « Épargnez ! » Ils épargnent…

J’évoquai la petite ville où je suis né, et que j’avais revue, quelques mois auparavant… Oh ! comme elle pesa à mon enfance ! Quels souvenirs d’ennui mortel j’en ai gardés ! Et comme elle fatigue encore, souvent, mes nuits des cauchemars persistants qu’elle m’apporte ! Quelle cure longue et pénible il m’a fallu suivre, pour me laver de tous les germes mauvais qu’elle avait déposés en moi ! Eh bien, je l’ai revue… Depuis cinquante ans, rien n’y est changé. Ni les êtres, ni les choses. Pas une maison nouvelle ne s’est élevée ; pas une industrie – si petite soit-elle – ne s’y est fondée. Sur la rivière, le même moulin broie toujours la même farine… Ce sont les mêmes boutiques avec les mêmes enseignes, et, je crois bien, les mêmes marchandises. On ne peut pas dire que les gens y soient morts… car les fils, ce sont les pères… Et j’ai retrouvé les mêmes visages tristes, les mêmes tics d’autrefois, la même lourdeur sommeillante, la même morne stupidité… On me dit : « Vous savez bien… un tel est parti depuis quinze ans… Il a on ne sait quelle fabrique à Madagascar !…