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Partout l’abondance, la sensualité, la richesse.

Et je me disais :

— Ces objets ne sont pas là pour le simple plaisir de la montre. Il y a donc, dans ce petit pays, des gens qui les désirent et qui les achètent.

Je me disais encore, non sans mélancolie :

— Comme je suis loin de la France, des petites villes de France, de leurs rues mortes, de leurs maisons lézardées, de leurs boutiques sordides et fanées !… Chez nous, on ne travaille qu’à Paris, dans quelques grands centres, quelques villes du Nord, et dans le Sud-Est… Le reste s’étiole et meurt chaque jour. D’immenses richesses dorment inexploitées, partout. Qui donc, par exemple, songe à arracher aux Pyrénées le secret de leurs métaux ? Qui donc oserait confier des capitaux improductifs à cette jeunesse hardie qui, faute de trouver chez elle l’emploi de son activité et de sa force, est contrainte de s’expatrier et de travailler à l’enrichissement des autres pays ?… Comme je suis loin ici, de ces bons Français, rentiers et gogos, qui se disent toujours la lumière et la conscience du monde, et que je vois perpétuellement assis au seuil de leurs boutiques, devant la porte de leur demeure, abrutis et amers, crevant de leur paresse, s’appauvrissant de leur épargne, passant leurs lourdes journées à s’envier, se diffamer les uns les autres ! Nul effort individuel, nul élan collectif… Quand je reviens dans des régions traversées quelques années auparavant, je les retrouve un peu plus sales, un peu plus vieilles, un peu plus diminuées ; et chacun s’est enfoncé, un peu plus profondément, dans sa routine et dans sa crasse. Ce qui tombe n’est pas relevé. On met des pièces aux maisons, comme les ménagères en mettent aux fonds de culotte de leur homme. On ne crée rien. C’est à peine si on redresse un peu ce qui est par trop gauchi, si