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son capot, comme un ardent étalon, son encolure, sous le mors qu’il mâche et qui le maîtrise. On eût dit vraiment qu’elle tirait sur le volant, comme un cheval sur ses guides… Je vis à l’horloge municipale d’un village qu’il était quatre heures et demie. Nous avions plus de deux cents kilomètres à faire, avant d’atteindre Dusseldorf, où nous eussions bien désiré arriver avant la nuit.

Pourquoi, à ce moment, songeai-je à la guerre de 70 ? Pourquoi justement, au lieu de ses horreurs, me revint à l’esprit cet épisode intime et consolant qu’au retour mon père m’avait conté ?

Il avait dû loger, pendant un mois, un général prussien, son état-major et sa suite. Très discret, d’une éducation parfaite, d’une bonne grâce très délicate, ce général n’avait pris de notre propriété que ce qui était indispensable à lui et à ses services. Il s’efforçait, par tous les moyens, de rendre moins humiliante, moins pénible, cette occupation, et il veillait à ce que rien – autant que cela était possible – ne fût changé des habitudes de la maison. Il se conduisait comme un hôte bien élevé, non comme un conquérant.

Un matin, il se fit annoncer chez mon père :

— Je viens d’apprendre, monsieur, lui dit-il, que vous avez un fils à l’armée de la Loire ?… Est-ce vrai ?

— Oui.

— Avez-vous de ses nouvelles ?

— Je n’en ai plus depuis longtemps déjà.

— Depuis quand, exactement ?

— Depuis Patay… soupira mon père.

— Ah !…

Puis :

— Voulez-vous me permettre de m’informer ?… Moi