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Nul obstacle nulle part. Pas un caniveau, pas un dos d’âne : une piste bien entretenue de vélodrome. Scrupuleusement, les voitures que nous dépassions tenaient leur droite, et les charretiers, attentifs à leurs chevaux, nous saluaient au passage, sans servilité, presque en camarades.

Brossette me dit :

— Quel dommage, monsieur, que nous soyons en Allemagne !

— Pourquoi donc, Brossette ?

— Parce que je n’aime point ces gens-là… Et puis, monsieur, parce que voilà une route épatante où nous ferions facilement du quatre-vingt-dix… plus, peut-être…

Et, après un silence :

— C’est curieux !… Monsieur est bien sûr, au moins, que nous sommes en Allemagne ?

— Voyons !… Et la frontière ?… Tout à l’heure ?

Il haussa les épaules.

— Ça ? Une frontière ?… Oh ! là là !… Givet, oui… voilà une frontière… Mais du moment que monsieur est sûr ?

Et il grogna :

— Sale pays, tout de même !

Nous marchions lentement, comme dans une forêt enchantée, une forêt pleine d’embûches, de traquenards, de dangers, une forêt pleine d’ours, de tigres et de lions… Anxieux, nous interrogions l’horizon… Nous fouillions du regard, à droite et à gauche, la campagne, avec la peur de voir tout à coup surgir le casque à pointe du Règlement, avec la terreur de tout ce que devait cacher d’inconnu, de barbare, ce calme insidieux.

Et la 628-E8 était impatiente. On la sentait, toute frémissante d’élans retenus… Elle semblait encapuchonner