Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/331

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pouilleuse, je vis, entre La Ferté-sous-Jouarre et Meaux, je vis, de loin, un groupe de gens qui s’agitaient étrangement… Quelqu’un se détacha du groupe et me fit signe d’arrêter…

Une automobile, défoncée, tordue, gisait sur le milieu de la route… À quelques pas, sur la berge, une petite paysanne de douze ans à peine, gisait aussi, la poitrine broyée, la face toute sanglante… Penchée sur elle, une femme tentait de la rappeler à la vie… Elle criait :

— Madeleine !… Ma petite Madeleine !

Je m’approchai, examinai l’enfant, pratiquai sur le thorax des injections d’éther et de caféine, vainement, hélas !

— Elle est morte, dis-je à la mère.

Ses cris devinrent déchirants. Alors, le maître de l’automobile renversée s’approcha à son tour. Il n’avait aucune blessure, lui… Il était nu-tête, ayant perdu sa casquette dans la bagarre. Un peu de poussière blondissait sa barbe noire… Il dit :

— Ne vous désolez pas, ma brave femme. Sans doute, ce qui arrive est fâcheux, et, peut-être, eût-il mieux valu que je n’eusse pas tué votre enfant… Je compatis donc à votre douleur… J’y ai d’ailleurs quelque mérite, car, étant assuré, l’aventure, pour moi, est sans importance et sans dommage… Réfléchissez, ma brave femme. Un progrès ne s’établit jamais dans le monde, sans qu’il en coûte quelques vies humaines… Voyez les chemins de fer, les sous-marins… Je pourrais vous citer des exemples encore plus concluants… Parlons de ce qui nous occupe… Il est bien évident, n’est-ce pas ?… que l’automobilisme est un progrès, peut-être le plus grand progrès de ces temps admirables ?… Alors, élevez votre âme au-dessus de