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Élément d’ailleurs, à qui il suffit d’une petite charrette en travers du chemin, pour qu’il s’arrête, désarmé et penaud… Pauvre Toute-Puissance qu’une pierre, sur la route, fait culbuter dans le fossé !

Il n’importe… il n’importe.

Puisque je suis l’Élément, je n’admets pas, je ne peux pas admettre que le moindre obstacle se dresse devant le caprice de mes évolutions. Non seulement, il n’est pas de la dignité d’un Élément qu’il s’arrête, s’il ne le veut pas, mais il est absolument dérisoire et inconvenant qu’une vache, un paysan qui se rend au marché, un charretier qui va livrer à la ville des sacs de farine ou de charbon, que tous ces gens qui accomplissent de basses besognes quotidiennes, l’obligent de ralentir sa marche invincible et dominatrice.

— Rangez-vous… Rangez-vous… C’est l’Élément qui passe !

Et non seulement je suis l’Élément, m’affirme l’Automobile-Club, c’est-à-dire la belle Force aveugle et brutale qui ravage et détruit, mais je suis aussi le Progrès, me suggère le Touring-Club, c’est-à-dire la Force organisatrice et conquérante qui, entre autres bienfaits civilisateurs, ripolinise les pensions de famille, perdues au fond des montagnes, et distribue des cabinets à l’anglaise, avec la manière de s’en servir, dans les petits hôtels des provinces les plus reculées…

— Place donc au Progrès !… Place ! Place !

Ah ! bien oui !

Aux cris de la sirène, les hommes sortent de leurs maisons, quittent leurs champs, s’assemblent, me maudissent, me montrent le poing, brandissent des faux et des fourches, me jettent des pierres. Depuis Jésus, c’est toujours la même histoire. On se dévoue, pour les hommes…