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sorte de fraternité, de solidarité routière. Or, le cycliste est devenu le pire ennemi du chauffeur. Il s’associe à la haine du paysan, et au besoin la provoque. J’en ai vu qui, devant une auto, semaient négligemment de gros clous, et s’esclaffaient de rire, s’ils entendaient un pneu éclater…

Plus je vais dans la vie, et plus je vois clairement que chacun est l’ennemi de chacun. Un même farouche désir luit dans les yeux de deux êtres qui se rencontrent : le désir de se supprimer. Notre optimisme aura beau inventer des lois de justice sociale et d’amour humain, les républiques auront beau succéder aux monarchies, les anarchies remplacer les républiques, tant qu’il y aura des êtres vivants, tant qu’il y aura des hommes sur la terre, la loi du meurtre dominera parmi leurs sociétés, comme elle domine parmi la nature. C’est la seule qui puisse satisfaire les convoitises, départager les intérêts…

Mais un cycliste solitaire, – si malfaisant qu’il soit – ce n’est rien, auprès d’une bande de cyclistes… Quand ils tiennent la route, c’est fini des piétons, des voitures, des autos… Vous n’avez plus qu’à rentrer chez vous…

J’aime mieux la batteuse à blé qui barre les routes d’Auvergne ; j’aime mieux les deux mille moutons dans les gorges des Grands-Goulets…



On m’a dit à Karlsruhe, le dicton des officiers de cavalerie allemands :

— D’abord, il y a Dieu, le Père… Et puis, il y a l’officier de cavalerie… Et puis, il y a la monture de l’officier de cavalerie. Et puis, il n’y a rien…