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J’ai gardé, pour la fin, le cycliste.

Dès qu’un homme – fût-il le plus charmant homme du monde – enfourche une bicyclette, on peut dire que, de ce fait seul, il devient un cheval, avec tous les caprices, toutes les sottises, toutes les caracolades encombrantes et folles, tous les dangers mortels du cheval… mais combien plus dangereux ! Aux dangers du cheval qu’il fait siens, le cycliste en ajoute de personnels, qui sont consacrés, légalisés, intangibles, pour cette raison qu’en plus du cheval qu’il est devenu, il est aussi, la plupart du temps, électeur… Fort de ce privilège, il ne se range jamais… N’est-il pas souverain, cet animal ? Tout ne lui appartient-il pas ?… La route, la fortune politique du député qu’il nomme, la majorité du gouvernement qu’il soutient ?… De même que le cabaretier, qui débite la maladie et la mort, en petits verres, et sur qui repose tout le système social, il ne faut pas qu’on embête le cycliste. Son importance tracassière, sa dignité agressive s’en prend à tout le monde, aux piétons, aux voitures, aux autos, aux bêtes… C’est le maître, le seul maître de la route… On le voit, devant le moteur, qui, les mains dans les poches, la casquette collée à la nuque, fait des effets de torse et de jambes, s’amuse à décrire des courbes, des spirales, des zigzags, exercices inutiles et vexatoires, au cours desquels il lui arrive, comme au chien, de tomber sous les roues… Et alors, c’est toute une histoire, qui vous vaut des mois de prison et d’énormes indemnités.

Il n’y a pas si longtemps, c’est le cycliste qu’on accablait de toutes les malédictions dont on accable l’automobiliste aujourd’hui… Il devrait y avoir, entre eux, une