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 bien que ce fussent des lapins d’Allemagne – charmants à jouer, tout blancs sur la route, blanche de la lumière du phare. Ils allaient, venaient, bondissaient, gambadaient, tenaient de curieux conciliabules, et ne se décidaient à fuir, en montrant la blanche houppette de leur derrière, que lorsque la voiture était sur eux…

Oui, mais – me pardonnent les lapins de France – en Allemagne, ce sont de fameux lapins.



Marsiens…

La nuit est complète. Plus une âme sur la route, ni même un spectre de voiture. Plus un village éclairé, plus une maison vivante. Les abois des chiens se sont apaisés. Ceux de nous, qui ne dorment pas dans la voiture, se traînent sur la berge, lamentablement, pour se réchauffer. Les phares trouent le sol de trous noirs, teignent les simples ondulations en précipices, et grandissent nos ombres démesurément. Brossette travaille, s’acharne. Une enveloppe trouée, une chambre à air éclatée, se tordent dans le fossé… Nous avons le sentiment d’être des victimes, et le souvenir, seulement, d’avoir eu très faim…

Enfin, le quatrième pneu remis, nous repartons et montons une côte très rude.

Bientôt une lueur, une sorte d’aurore, mais froide, apparaît à l’horizon, s’épand et, peu à peu, occupe tout le ciel. Ce n’est sûrement pas le jour, mais, sans doute, la naissance d’un astre qui monte sur la nuit, pour la dissiper… Un astre, en effet, un astre prodigieux !… Brusquement, il surgit sur la crête, énorme, aveuglant, éblouissant, éclaboussant, roule vers nous, au ras de la terre. Il ronfle, crache le tonnerre, et, dans une nuée de