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d’une auto pour le derrière d’un ami… Non… Il y a donc ceci que les chiens songent moins à éviter la machine qu’à charger contre elle, pour aboyer, et que cette fâcheuse habitude les fait toujours virer à temps, pour tomber sous les roues…

— Ah ! la chale bête ! dit Brossette.

Ils ne sont pas nombreux à s’être aperçus que les autos vont plus vite que les chevaux, et même qu’elles ne sont pas des chevaux… Cependant, j’ai cru remarquer, qu’aujourd’hui, autour des grandes villes, et sur les routes particulièrement fréquentées, ils commencent à acquérir un semblant d’éducation. Ils deviennent prudents ; ils réfléchissent. J’en vois en qui se révèlent, encore obscurément, il est vrai, le sens de la vie, de leur vie de chien, et le sentiment plus net des réalités… Peut-être arriveraient-ils à être tout à fait sages et pratiques, à se débarrasser complètement de leurs fantasmes, s’il n’y avait pas le maître, s’il n’y avait pas la fidélité vouée au maître. C’est leur grand malheur…

Il est bien évident que, neuf fois sur dix, l’homme est entièrement responsable de l’écrasement du chien. Le chien est-il parvenu à se mettre en sûreté d’un côté de la route, que, bien vite, l’homme l’appelle, comme si, d’être près de l’homme, cela suffisait à tout, pour le chien… L’homme l’appelle avec une autorité impérieuse, glapissante, comme on voit les mères appeler leurs enfants, dans les rues, juste pour qu’ils se précipitent sous les véhicules. Merveilleux instinct de l’amour maternel des mères, accouplé à leur sottise ! Le chien, qui se plaît aux caresses plus qu’un homme, et aux coups, mieux qu’une femme, accourt à l’appel. Peut-être a-t-il vu le danger ? Il n’importe. Il accourt, puisqu’il est fidèle, et, en accourant, il se fait écraser. Naturellement. D’ailleurs, que peut-il arriver d’autre, lorsqu’