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une œuvre du diable, sinon le diable en personne. Dès qu’il en aperçoit une, il marmotte aussitôt des prières. S’il est à pied, il s’agenouille et joint ses mains tremblantes. Il invoque saint Yves, qui donne la richesse, et saint Tugen, qui guérit de la rage, car il n’y a pas encore de saints, en Bretagne, qui préservent de l’automobile. S’il est à cheval, il descend précipitamment, et, la face toute pâle, claquant des dents, mais toujours priant, il se met à l’abri, derrière sa monture, dont il se sert, selon la circonstance, comme d’un bouclier ou d’un rempart.

Une fois, pas très loin de Vannes, sur la route de Larmor, un paysan était ainsi caché, presque accroupi, derrière son cheval… C’était un tout petit cheval de la lande, à longs poils rouges, et barbu comme une chèvre. Il se démenait, ruait, hennissait. L’homme, qui s’accrochait à lui, criait, implorait, suppliait :

— Nostre Jésus !… Ah ! nostre Jésus !… Ho !… Ho !… Ho donc !

Aussi effrayé de la mimique de son maître que des ronflements de l’auto, le petit cheval finit par détacher une ruade plus violente, qui atteignit le paysan et l’envoya rouler dans le fossé…

Nous eûmes beaucoup de peine à nous emparer du blessé, pour le conduire à l’hôpital de Vannes. En dépit de sa jambe cassée, il luttait contre nous, désespérément, s’imaginant que nous voulions l’emmener en enfer… Et, afin d’éloigner de lui le démon, il hurlait, très vite :

— Ah ! sainte Vierge !… Ah ! bonne mère sainte Anne… Ah ! nostre Jésus !

Quant au petit cheval, il avait franchi, d’un bond, le mur de pierre de la route… Et il galopait, à travers la lande en rumeur, suivi de quatre petites vaches folles et de deux moutons noirs, éperdus…