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nocturnes, des papillons de feu ; nos phares qui, parfois, éclairaient un coin de canal, et des silhouettes d’ombres glissant sur le canal, éclairèrent, subitement, l’effort d’un cheval blanc qui amenait à nous, de Rotterdam à Dordrecht, sans doute, une très grosse voiture de déménagement. À peine avions-nous distingué le charretier endormi profondément sur son siège, que le cheval, effrayé par les lumières, – car la lumière l’effraye comme les ténèbres, – se retourna brusquement, et faisant faire sur la digue, par bonheur très large à cet endroit, demi-tour à la voiture, remporta le mobilier à notre suite, vers Rotterdam, d’où il devait venir… Son maître ne s’était pas réveillé. La secousse du virage lui avait même davantage calé la tête sur un paquet d’oreillers, et les reins sur un paquet de matelas. Il dormait, comme sur son lit, confortablement, bouche ouverte, ventre ballant, jambes écartées… Et les guides étaient enroulées à son poignet pendant.

Nous ne pûmes nous empêcher de rire aux éclats, en songeant à la tête ahurie qu’il ferait, après s’être réveillé, peut-être, une fois ou deux, sur la grande route enténébrée, partout pareille, lorsqu’il se retrouverait, le matin, avec sa voiture, son mobilier et son cheval, à Rotterdam, d’où il avait dû partir la veille.

Ainsi vont les réformes sociales qui sont de pauvres chevaux à qui tout fait peur, et dont les conducteurs sont toujours endormis… Elles partent, un beau soir, ardentes, fringantes… Le moindre incident de route leur fait rebrousser chemin… et elles reviennent, le matin, au point d’où elles étaient parties.



Le paysan breton, celui du Morbihanais et du pays gallot, a une peur spéciale de l’automobile. Il y voit certainement