Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

boueuses et compliquées. Plus de ces promiscuités, en d’étroites cellules, avec des gens intolérables, avec les chiens, les valises, les odeurs, les manies de ces gens… Viendrais-je si souvent à Amsterdam, s’il me fallait subir, toute une nuit, en un wagon, l’horreur de ces voisinages et le danger de ces haleines, quand on a l’air vivifiant de la prairie, de la forêt ? Oh non !… Et les flâneries libres, les belles, les délicieuses flâneries !… Le polder, le polder !…

Et, en me disant cela, sans m’apercevoir de rien, à chaque pas qui me pousse et qui m’entraîne, je vais plus vite… encore plus vite… Mes reins ont des élasticités de caoutchouc neuf ; mes semelles, sur les pavés, les trottoirs, rebondissent, devant moi, derrière moi, comme des balles de tennis… Je cours pour les rattraper… Je cours… je cours…

Je commence par les musées, n’est-ce pas ?… par ces musées magnifiques où, devant le génie de Rembrandt et de Vermeer, je suis venu oublier les Expositions parisiennes, les pauvres esthétiques, essoufflées et démentes de nos esthéticiens… Des salles, des salles, des salles, dans lesquelles il me semble que je suis immobile, et où ce sont les tableaux qui passent avec une telle rapidité que c’est à peine si je puis entrevoir leurs images brouillées et mêlées… Et l’instant d’après, sans trop savoir ce qui m’est arrivé, je me trouve longeant les canaux, les canaux aux eaux mortes, bronzées et fiévreuses, où glissent, pareilles aux jonques chinoises, ces massives et belles barques néerlandaises qui laissent tomber, sur la surface noire, le reflet vert, acide et mouvant de leurs proues renflées.

Maintenant, me voici sur des places, dans des rues, dans des ruelles qui se croisent et s’entre-croisent, ces