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un cocher de maison cossue. Ses gros doigts, courts et boullus, très blancs, étaient gainés de bagues, où des feux étincelaient. En parcourant le menu, il haussait les épaules, parlait fort, maugréait, semblait mâcher ses mots comme de la viande trop dure.

D’elle, qui nous tournait le dos, je remarquais seulement, sous les cheveux ondulés qui la couronnaient comme d’une tiare légère, une rigole qui se creusait à partir de la nuque, détail que Gérald, tout à l’heure, dans l’intime description de son inconnue, nous avait donné.

Notre ami, très gêné, fit observer tout à coup, à voix basse, combien nos cigares faisaient de fumée… Il y avait, dans ses paroles, une insistance suppliante. De temps en temps, le gros monsieur, sans nous regarder, mais avec ostentation, agitait l’air du plat de ses mains gantées d’or et de pierreries, et soufflait bruyamment :

— Pfouou !… Pfouou !…

Ah ! s’il n’y avait eu que le gros monsieur !… Nous nous levâmes, sans plus parler… Les autres défilèrent avant moi, devant la table aux roses… Pas un, je l’avoue à notre honte, n’eut le bon goût ni la force de résister au désir de retourner la tête. Et moi, plus goujat que tous, sans même me donner l’excuse de la liberté du voyage, bravant les regards de la dame et le monocle furieux du mari, je me retournai aussi, brusquement, m’arrêtai quelques secondes, sous prétexte d’épousseter le revers de mon smoking, où un peu de cendre de cigare était tombé, et je vis, avec une sorte de joie jalouse et basse, le joli visage blond s’empourprer… Tout au plus ne cédai-je pas à la tentation de dire, en passant :

— Me… Monsieur…

Dehors, je complimentai Gérald, qui avait retrouvé toute