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sauf, bien entendu, ce qui peut arriver à chacun sur un trottoir ou dans un cabaret de nuit… Les Allemandes, les Anglaises qui voyagent seules, lorsque le roman sentimental ou la bouteille de gin, le souvenir d’un opéra, d’un officier, ou tout simplement d’un commis de magasin, agite leur imagination, et qu’elles ont besoin d’aide, sonnent le garçon d’étage… Considérez-vous comme une aventure l’offre de la servante de l’hôtel, dans les petites villes de Serbie, de Roumanie ?…

— Alors, en Serbie ?

— Oui… en Bulgarie, en Hongrie aussi… Mais cela fait partie de leur service, comme le cirage des chaussures incombe au conducteur du sleeping… Un trait… je me rappelle un seul trait qui vaille d’être rapporté… Et encore !… C’était en Transylvanie, au pays de l’or. Nous étions, en été, au petit jour, après une nuit passée en wagon, et avant de repartir en voiture, descendus dans un hôtel, pour y refaire un peu notre toilette… Deux filles nous servaient… L’une, geignant, suppliait, en mauvais allemand, qu’on acceptât ses offres, criait qu’elle était pauvre, qu’elle n’avait vraiment rien… Pour nous prouver, sans doute, son dénuement, tout à coup elle souleva crânement le cache-misère dont, en hâte, à notre arrivée, au saut du lit, elle s’était enveloppée, toute nue… Sa hardiesse ne manquait pas de grâce… Elle était grande, bien faite… de belles lignes… un joli grain de peau… Mais nous étions trop nombreux… Je lui en fis la remarque : « Qu’est-ce que ça fait ?… répondit-elle. Tous… tous… tous… Je suis si pauvre ! » Pendant ce temps-là, l’autre ne disait rien, souriait en continuant son ouvrage. À peine débarbouillés, mal brossés… nous prenions la fuite… Je n’ai jamais eu d’autre aventure…