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Foire aux fromages.


À l’entrée du bourg de Purmerend, sur une riante, grouillante petite place, au bord du canal, nous sommes arrêtés par les apprêts d’une foire aux fromages… Une longue file de chalands, pleins de ces boules rouges ou violacées qu’on appelle des têtes de nègres, s’amarrent le long des quais, où, de place en place, avec cette cargaison, l’on construit de petits monticules, semblables à ces pyramides de boulets louisquatorziens que nous voyons encore dans les arsenaux maritimes. C’est assez étrange, et très gai de couleur. La lumière du matin fait vibrer les feuillages, joyeusement. L’air, où circule une odeur aigrelette, est d’une grande transparence. Les contours des objets, des fromages, comme des visages, des maisons vernies, des arbres, des bateaux, ont la même netteté, la même sécheresse jolie…

De ces bateaux, qu’on dirait remplis de joujoux neufs, les débardeurs lancent, comme on jongle, les sphères colorées à des gars, à des filles qui, toujours jonglant, les relancent, les unes à des marchands qui en dressent des tas devant leurs tentes, les autres à des voituriers qui en remplissent, jusqu’au bord, leurs voitures.

Des paysannes, — presque toutes ont les tempes ornées de coquilles d’or, ou portent le casque doré sous le bonnet de dentelles, — des paysans, en pantalons courts, en sabots clairs, ont, en se renvoyant ces ballons ronds et rouges, des figures rondes et rouges, si bien que, parfois, nous pourrions croire qu’ils jouent à la balle, avec leurs propres têtes, et que nous assistons au