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la pitié offensante, chez les pires. Et voilà… Il était fatigué de se sentir toujours si seul… fatigué de sentir quelquefois, souvent, qu’il n’était même pas, à soi-même, un « compagnon »… Et quand la vieillesse viendrait tout à fait ?…

— Il y a des moments où je ne m’aime plus… je ne m’intéresse plus, des moments où je ne me comprends pas plus qu’on ne me comprend… Je suis peut-être un raté ?…

Et il me regarda longuement, anxieusement, attendant une réponse… Je haussai les épaules, pour le rassurer.

Au Musée, où il me mena, il demeura tout à fait silencieux et agacé. Il me laissa admirer, sans aucun commentaire, les deux grands van Gogh, Le Moulin dans le polder, L’Allée, qui ont, déjà, la majesté souriante, la tranquille éternité des vieux chefs-d’œuvre. Pendant que je les considérais et les opposais aux bestiaux ennuyeux de Mauve, Weil-Sée gardait aux lèvres un pli dur, et comme la grimace d’une tristesse qui, non seulement se refusait à parler, mais ne trouvait rien à dire. Un moment, ce pli se tordit tellement au coin de sa bouche, que je crus que le pauvre diable allait fondre en larmes… Je songeai que j’avais été, pour lui, un moment d’exaltation, d’oubli, de répit, dans sa vie, et que, moi parti, il allait peut-être retomber plus profondément dans les affres de la solitude et… qui sait ?… de la désespérance.

— Mais non… mais non… me disais-je, pour ne pas trop m’attendrir… Je me trompe… Il est nerveux, ce matin, c’est peut-être le temps… Weil-Sée ? Allons donc ! Son imagination lui tient lieu de tout… de femme, de famille, d’amis, de fortune, de succès, de bonheur… Oui… oui… Il est heureux…