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C’est pour avoir trop écouté mon ami Weil-Sée que je n’ai rien vu du port de Rotterdam. Pourtant, je m’étais bien promis de le visiter longuement, et Weil-Sée m’avait bien promis de me l’expliquer de même. Tout ce que j’en sais, tout ce que, sans doute, j’en saurai jamais, c’est « qu’on y voit circuler les produits des colonies du monde entier ». Puissance d’évocation qu’ont toujours eue certaines phrases qu’il prononce !… Tous les autres ports que j’ai vus, depuis, me paraissent petits, étroits, inanimés. Le seul port qui puisse m’impressionner désormais, c’est ce port de Rotterdam, que je n’ai pas vu, que je n’ai pas besoin de voir, que je ne verrai ni n’oserai aller voir jamais, ce port de Rotterdam, dont je sais seulement, dont Weil-Sée m’a dit brièvement, en passant : « que les produits des colonies du monde entier y circulent »…



Il y a des hommes ainsi faits, que je n’ai pas la force de leur résister, que l’idée même ne m’en viendrait pas… Mon ami Weil-Sée est de ceux-là. Qu’on rie, si l’on veut, de mon esclavage ; c’est pour moi le seul aspect du bonheur. Mais c’est trop peu dire que je ne résiste pas à ceux qui me plaisent ; je ne sais, non plus, leur parler, ni parler devant eux… C’est pourquoi, peut-être, aucun personnage ne m’émeut autant que Cordélia. Seulement j’admire que cette malheureuse fille puisse en dire autant qu’elle en dit… Il est vrai que c’est du théâtre.

Qu’un homme, au contraire, m’impatiente, ou qu’une femme