Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/265

Cette page n’a pas encore été corrigée

couche ; sur les falaises des côtes bretonnes qu’on sent glisser sous ses semelles, quand on se penche vers la mer ; sur un balcon où l’on est monté, en riant, et dont le parapet est trop bas de cinq centimètres ; sur les échelles des échafaudages dont on tient les montants embrassés une éternité, et dont il m’est arrivé de mordre… oui… de mordre, à m’en casser les dents, les barreaux.

— Mon cher Weil-Sée, un jour, au Mont-Vallier, j’avais eu la folie de suivre un ami sur un sentier qu’au bout de dix minutes je sentis – je n’aurais pas baissé les yeux pour un empire – se rétrécir jusqu’à devenir plus étroit que mes semelles… Je m’arrêtai enfin et mis bien une demi-heure – comme un petit équilibriste japonais au sommet d’une pyramide de tonneaux – à me retourner, et le double de temps à me coucher ventre contre terre. Mon ami, mon bourreau avait le courage de se moquer de moi… Je n’avais pas, moi, seulement la force de souhaiter sa mort… Et, à plat ventre, déchirant ma joue collée à la montagne, pour ne pas apercevoir le précipice, j’ai mis le temps d’une autre vie à refaire le chemin parcouru…

— Ce n’est rien… dit Weil-Sée, en montrant ses dents noires… le Mont-Vallier, ce n’est rien… Vous n’avez pas suivi, comme moi, les torrents des Alpes, à flanc de montagne, le long de parois qui semblent de marbre poli ou de boue schisteuse, dans des gouffres au profond desquels le ciel ne paraît plus qu’un tout petit ruisseau bleu… Voilà le vertige…

Et il poursuivit, après un instant de silence, ricanant :

— C’est parce que je sais ce que c’est que le vertige… que je comprends quel tremblement dut agiter le pauvre Jésus aux jointures des genoux et du bassin, quand Satan l’a tenté.