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jamais, pourtant, le détail de mœurs, l’anecdote qui passe, vaillent aux villages, aux visages, aux coteaux, aux belles ondulations de la campagne française, une popularité qui ne sera pas moins universelle que la gloire de leurs peintres. Ainsi, grâce à Watteau et à Renoir, les femmes, telles qu’ils les ont vues dans les rues de Paris, ou assises sur les gazons de ses jardins, sous l’ombre ensoleillée de ses parcs, dureront, moins fragiles, plus vivantes que les Tanagréennes, aussi immortelles que les cavaliers des frises grecques…

Le soleil échancrait déjà l’horizon, quand nous nous trouvâmes, tout à coup, devant Dordrecht qui, au sortir de tant de villages minuscules, nous parut immense. Sa majesté, elle la devait surtout à l’heure, qui amplifie les formes, en les confondant dans une masse bleue… La Meuse – ou plutôt la Merwede – était encombrée, comme la rue d’une grande ville, avant le dîner. Le bac ne traversait pas… Il nous fallut attendre une heure, pendant laquelle nous vîmes les navires perdre peu à peu l’éclat de leurs couleurs, jusqu’à devenir tout à fait noirs, et tendre, sur le ciel, où le jour très lentement se mourait, l’envergure de leurs énormes ailes ténébreuses… Les coques des chalands émergeaient de l’eau, à qui elles semblaient peser. Des remorqueurs, qui sifflaient interminablement, entraînaient des trains entiers dans leur sillage… À force de s’allumer de toute part, la ville devint un brasier dont les flammes atteignaient la hauteur des maisons… Le vent qui venait de se lever, commença de souffler, comme pour attiser le feu et préparer la forge qu’il fallait au travail d’on ne savait quel surhumain forgeron…