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Même Marseille, « Porte de l’Orient », écrit Puvis de Chavannes, Marseille, où naquit Monticelli, valut à ce peintre l’étrange grouillement de sa palette, où les fruits rouges, les soies orientales, les coquillages nacrés, s’écrasent parmi les eaux bleues et parmi ces noirs puissants, dorés, qui font frissonner les bassins, pleins de navires…

Est-il possible aussi que personne n’ait pu se défendre de croire qu’il abordait au Japon, de ceux qui, au crépuscule du matin, sont entrés dans le fjord de Kristiania ?



Je suis convaincu qu’un grand port, quel qu’il soit, où qu’il soit, est, par excellence, un lieu d’élection pour la naissance, la formation, l’éducation d’une âme d’artiste. Un artiste qui est né dans un port, qui y a vécu son enfance et sa première jeunesse, parmi la variété, l’imprévu, l’enseignement sans cesse renouvelé de ses spectacles, est, forcément, en avance sur celui qui naquit, au fond des terres, dans un village de silence et de sommeil, ou dans l’étouffante obscurité d’un faubourg de la ville. Son imagination, surexcitée par tout ce qui passe et se passe autour de lui, s’éveille plus tôt. Son cerveau travaille davantage et plus vite, et sans trop de luttes… Il s’habitue à voir et, voyant, à comprendre. Sa pensée qui n’est pas bornée par un mur, « le mur de la maison Meyer », ou par un coteau, est libre de vagabonder, à travers l’espace, comme ces jolies mouettes qui hantent le vaste ciel, et qui n’ont d’autre limite à leurs désirs, que la fatigue de leurs ailes… Il englobe, dans un regard, plus de choses d’ici et de là-bas, plus de visages d’ici et de là-bas, plus de vie