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Son émotion devant cet art merveilleux, où toute vie, tout mouvement, tout modelé tiennent dans un trait – art qu’il ignorait, d’ailleurs, comme tout le monde, à cette époque, mais dont il avait en lui la prescience, en quelque sorte fraternelle – cette émotion-là, vous la devinez.

Son bouleversement, sa joie étaient tels, qu’il ne pouvait exprimer, par des phrases, ce qu’il ressentait ; il ne pouvait plus l’exprimer que par des cris.

— Ah !… ah !… Nom de Dieu !… faisait-il… Nom de Dieu !…

Ce juron contenait tout l’infini de son admiration.

Et c’est à Zaandam que ce miracle se passait. Zaandam, avec son canal, ses navires à quai, débarquant des cargaisons de bois de Norvège, sa flottille serrée de barques, aux proues renflées comme des jonques, ses ruelles d’eau, ses cahutes roses, ses ateliers sonores, ses maisons vertes, Zaandam, le plus japonais de tous les décors de Hollande.

Il faudrait ignorer, non seulement les tableaux de Claude Monet, mais ceux des pairs qu’il a parmi ses contemporains et ses cadets, et jusqu’aux noms, alors inconnus, d’Hokousaï, d’Outamaro et d’Hiroschigè, pour douter de la fièvre, dans laquelle il courut à la boutique d’où lui venait ce paquet… Vague petite boutique d’épicerie, où les gros doigts d’un gros homme enveloppaient – sans en être paralysés – deux sous de poivre, dix sous de café, dans de glorieuses images rapportées de l’Extrême-Orient, au fond de quelque cale de navire, avec des épices !… Bien qu’il ne fût pas riche, en ce temps-là, Monet était bien résolu à acheter tout ce que l’épicerie contenait de ces chefs-d’œuvre… Il en vit une pile, sur le comptoir. Son cœur bondit… Et puis, il vit l’épicier qui servait une vieille femme,