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blanchis, et qui enseignent aux jeunes gens l’indulgence et le sourire. La coquetterie est la grande vertu des vieilles gens.

Délicieuse petite vieille, que Gorinchem !… On pouvait, de l’auto, sans effort, toucher les façades peintes, lavées, vernies. Les rues, où nous glissions entre ces habitations à pignons historiés, étaient lavées aussi, lavées comme les carreaux des intérieurs que peignit Pieter de Hoogh, et dallées, me sembla-t-il, de ces mêmes mosaïques de couleur, dont beaucoup de maisons avaient leurs façades revêtues. Et des étalages de fruits exotiques, des vitrines où se montraient des dentelles, des draps brodés, de lourds bijoux d’argent, paraient les devantures d’un luxe choisi… C’était la première petite ville des Pays-Bas, qui mirât dans ses canaux sa coquetterie, avec placidité…

Nous nous arrêtâmes chez un pâtissier pour y boire du thé, mais surtout pour nous arrêter, pour prendre pied dans la ville.

Les gens allaient et venaient, nous regardaient et regardaient la machine, silencieusement. Faces débonnaires et un peu lourdes, je les avais déjà vues dans ces gravures anciennes qui représentent des amateurs de tulipes. Ils ne savaient pas trop s’ils devaient admirer, mépriser, s’indigner… Après avoir regardé l’auto, ils se regardaient entre eux, et puis ils s’en allaient, sans avoir exprimé le moindre sentiment. Et d’autres les remplaçaient qui se livraient à la même mimique. Il y avait des femmes blondes, aux cheveux tirés ; il y en avait de très noires, avec des yeux en amande, et des teints où le jaune de l’Extrême-Orient luttait avec le rose d’Europe… Des pêcheurs rentraient ou sortaient, poussant des petites voitures dont les unes contenaient des paquets de filets bruns, et les autres de grandes mannes