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quelles associations d’idées ? — me fit songer au botanisme académique de M. André Theuriet ?

Il y a des moments où, le plus sérieusement du monde, je me demande quelle est, en tout ceci, la part du rêve, et quelle, la part de la réalité. Je n’en sais rien. L’automobile a cela d’affolant qu’on n’en sait rien, qu’on n’en peut rien savoir. L’automobile, c’est le caprice, la fantaisie, l’incohérence, l’oubli de tout… On part pour Bordeaux et — comment ?… pourquoi ? — le soir, on est à Lille. D’ailleurs, Lille ou Bordeaux, Florence ou Berlin, Buda-Pesth ou Madrid, Montpellier ou Pontarlier…, qu’est-ce que cela fait ?…

L’automobile, c’est aussi la déformation de la vitesse, le continuel rebondissement sur soi-même, c’est le vertige.

Quand, après une course de douze heures, on descend de l’auto, on est comme le malade, tombé en syncope, et qui, lentement, reprend contact avec le monde extérieur. Les objets vous paraissent encore animés d’étranges grimaces et de mouvements désordonnés… Ce n’est que peu à peu, qu’ils reprennent leur forme, leur place, leur équilibre. Vos oreilles bourdonnent, comme envahies par des milliers d’insectes aux élytres sonores. Il semble que vos paupières se lèvent avec effort sur la vie, comme un rideau de théâtre sur la scène qui s’illumine… Que s’est-il donc passé ?… On n’a que le souvenir, ou plutôt la sensation très vague, d’avoir traversé des espaces vides, des blancheurs infinies, où dansaient, se tordaient des multitudes de petites langues de feu… Il faut se secouer, se tâter, taper du pied sur le sol, pour s’apercevoir que votre talon pose sur quelque chose de dur, de solide, et qu’il y a autour de vous, devant vous, des maisons, des boutiques, des gens qui passent, qui parlent, qui